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bégaiement de l'enfant: quel est l'ingrédient secret d'un traitement efficace?

Depuis le dernier article, j’espère que vous n’avez pas tourné carré et que votre couteau suisse s’est enrichi de plusieurs nouveaux outils ! La question demeure: quel est l’ingrédient secret d’un traitement efficace du bégaiement de l’enfant ?
Commençons par un petit extrait vidéo, d’un film qui figure en bonne place dans mon top 10 : « Kung Fu panda » (le 1 of course). Quel est donc le mystérieux ingrédient secret qui fait que « ça marche » ?

Mais revenons à notre sujet:

Une récente étude portant sur les contingences verbales dans le programme Lidcombe a montré que celles-ci ne seraient pas indispensables à la réussite de ce traitement. Deux groupes de patients ont été créés, un groupe recevait le traitement du programme Lidcombe dans les règles de l’art et le second groupe recevait le traitement sans les « contingences verbales » (compliments sur la parole fluide et demandes de correction des « bosses »). D’où il ressort que les différences entre les groupes sont minimes en terme de résultats du traitement.
Cela remet en question beaucoup d’affirmations faites par le passé sur les raisons de l’efficacité de ce traitement. Ce qui m’intéresse ici est la remise en question de deux affirmations :
« Le Lidcombe est parmi les traitements les plus efficaces, à ce titre il DOIT être appliqué au maximum. »
« C’est ce qui est dit aux parents et à l’enfant qui est important. »

Ma question est : et si ce qui marche était l’implication de tout le monde plus que ce qui est dit ?
Observons un moment ce qui se passe dans une séance Lidcombe :
– C’est une situation de jeu, donc l’enfant est d’emblée dans un bain d’actions et d’émotions plutôt agréables (surtout s’il gagne).
– Le parent passe un temps de qualité avec son enfant, sans être occupé à autre chose ou sollicité par un écran.
– L’adulte dirige son attention vers les moments de parole fluide, et sans doute davantage vers le contenu de ce que dit l’enfant.
– Les parents savent précisément quoi faire, ils ont un nombre défini avec l’orthophoniste de compliments à faire et un ratio de compliments/demandes de reformulations précis à respecter.
– L’enfant reçoit de nombreux compliments, ce qui n’était peut-être pas aussi fréquent par le passé.
– L’orthophoniste et les parents ont un outil simple pour mesurer les changements : l’échelle de sévérité.

Ce que cette étude montre à mon sens c’est que certains ingrédients du Lidcombe sont effectivement très pertinents, mais ce n’est peut-être pas ceux auxquels les auteurs et promoteurs de ce traitement ont pensé. Je me souviens m’être dit très nettement à l’issue de la formation Lidcombe « Si on se contentait de proposer aux parents de faire 5 minutes de temps spécial et de jeux avec leur enfant, tout en mesurant l’évolution avec l’échelle de sévérité, est-ce que cela n’aurait pas les mêmes effets? ». Je suis donc assez contente de constater que c’est exactement l’hypothèse que cette étude a tenté d’explorer.

La question est donc « mais alors, qu’est-ce qui marche dans le Lidcombe ??? »
Pour mémoire, voici les conclusions d’un article de Rosalee Shenker sur les options de traitement du bégaiement de l’enfant avant 6 ans. Dans cette étude elle a comparé les données sur les traitements directs et indirects, d’où il ressort que :
« Il n’existe pas d’arguments pour ou contre à utiliser une approche directe ou indirecte pour le traitement du bégaiement chez l’enfant pré-scolaire. Si l’enfant cesse de bégayer c’est dû à l’aide d’un thérapeute associée à l’implication des parents, ce qui est sans doute un facteur critique pour faciliter et maintenir la fluence à cet âge. Les bénéfices du traitement peuvent aussi être dus à la réduction du bégaiement, à une meilleure attention des parents envers le bégaiement et à une meilleure capacité chez eux à parler du bégaiement ouvertement. »

Et ma question qui vient juste après : quels ingrédients peut-on garder pour réellement adapter les traitements du bégaiement ? Il ressort d’un autre article fort passionnant qu’il est nécessaire de changer de façons de raisonner pour analyser les différentes thérapies du bégaiement:

Patricia Zebrowski suggère de rechercher plutôt les facteurs communs à ces traitements. Elle postule que « Ce qui aura le plus d’influence sur les résultats de la thérapie réside dans des éléments comme les caractéristiques personnelles et les expériences vie des patients et dans la force du lien entre le thérapeute et le patient ». Selon cette autrice, les thérapies des troubles de fluence ont en commun de :
– Rechercher et s’appuyer sur les forces du patient, de sa famille et du thérapeute.
– Exploiter la fluidité spontanée pour renforcer la notion que le système de parole « fait ce qu’il faut ».
– Mettre l’alliance thérapeutique au centre de tous les changements de comportement.

Je complète par les quelques ingrédients qui sont selon moi présents dans les thérapies du bégaiement de l’enfant :
– Un temps spécial.
– Un entrainement à l’observation.
– La re-focalisation de l’attention sur ce qui est important.
– Des moyens de mesurer l’évolution.
– Des actions concrètes à faire pour le parent quand l’enfant bégaie.
– Enfin et surtout la désensibilisation : parler ouvertement du bégaiement

En conclusion, je citerai Christopher Constantino qui fait l’hypothèse dans l’épisode 701 de Stuttertalk que cette étude sur les contingences verbales dans le programme Lidcombe ouvre la voie à des adaptations de ce programme selon les situations. Cela réintroduit donc du choix et des possibilités d’ajuster le traitement au patient et à sa famille et non l’inverse.

Et vous, quelles recettes construisez-vous avec vos patients ?