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bégaiement de l'enfant: traitement direct ou indirect?

Quel type de traitement utiliser dans la thérapie du bégaiement de l’enfant de moins de 6 ans? Il peut être difficile de choisir entre les traitements directs (type Lidcombe) et les traitements indirects (type Restart DCM). En deux articles, nous allons tenter d’y voir plus clair.

Tout d’abord je tiens à préciser que les articles de ce blog ne sont que l’expression d’un point de vue personnel issu de ma pratique d’orthophoniste et formatrice spécialisée dans les troubles de fluence depuis 15 ans, ainsi que de mes lectures d’articles scientifiques et d’ouvrages de référence.

Les débats sont riches dans la littérature et les podcast (surtout « Stuttertalk ») entre les tenants des thérapies directes, centrées la parole de l’enfant (Lidcombe, STS notamment) et ceux qui roulent pour les thérapies indirectes, agissant sur l’environnement autour de l’enfant pour diminuer les facteurs de pression (PCI, Demandes et Capacités).
La controverse peut vite apparaître assez tendue, comme dans cet article montrant un échange plutôt vif entre Ellen Kelly et Mark Onslow sur la prise en compte du tempérament dans le traitement du bégaiement du jeune enfant.

Depuis son développement, il faut reconnaitre une certaine force de persuasion au Consortium Lidcombe, bien aidé par la facilité à évaluer les résultats du traitement. En effet, l’évaluation de ce traitement portant essentiellement sur le pourcentage de syllabes bégayées, son efficacité a été assez facile à démontrer.
Ce programme est largement diffusé en France, et répond il faut bien le dire à de nombreuses attentes des orthophonistes : savoir où on va, se dire que c’est « validé par la science », avoir un mode d’emploi pas à pas clair, valoriser la fluidité de parole. D’apparence simple à mettre en œuvre, le Lidcombe permet aux orthophonistes de se lancer avec une certaine confiance. Nous pouvons adopter un rôle que nous aimons bien, celui de « dire quoi faire ». Pour les parents, souvent très angoissés de cette situation, ce qui est bien normal, cela permet d’avoir quelque chose à faire de simple et concret, ils ne restent pas sans moyens, désemparés face aux blocages.
Cela permet ainsi de diriger son attention sur la fluidité de parole plus que sur les blocages, c’est donc un élément très important de la thérapie qui est souligné ici : la focalisation de l’attention sur un élément plus efficace que ce qui ne va pas (nous y reviendrons dans le prochain article). 

Dans le camp d’« en face », les équipes du Centre Michael Palin et les néerlandais qui ont développé le programme Restart-DCM (demandes et capacités) peuvent paraître plus en difficulté pour prouver l’efficacité de leurs traitements. Ces approches étant très globales, elles sont aussi plus exigeantes pour les thérapeutes, nécessitant de s’intéresser aux attitudes parentales, au tempérament de l’enfant, à l’observation des interactions. Leurs critères et outils d’évaluation intègrent l’aspect de la fluidité de parole dans un ensemble plus vaste cherchant à mesurer la qualité de vie de l’enfant et de sa famille. On bute alors sur les outils d’évaluation, qui prennent du temps à être traduits et étalonnés avec différentes populations. En France, peu d’outils sont accessibles pour l’instant, bien que des travaux sur le Kiddy-CAT et les échelles OASES soient en cours (merci Clément Aunis-Oumghar !). Dans ces approches, toute l’expertise de l’orthophoniste est requise pour adapter le traitement à chaque situation, et cela peut parfois relever de la haute voltige.

En 2015 une étude unanimement saluée et moultes fois citée depuis a permis de remettre un peu les pendules à l’heure. Les équipes néerlandaises de M-C Franken et C. de Sonneville-Koedoot ont comparé l’efficacité des traitements Lidcombe et Restart-DCM auprès de 199 enfants âgés de 3 à 6 ans, qui bégayaient depuis au moins 6 mois. 100 enfants ont été traités avec le programme Restart-DCM et 99 avec le Lidcombe. Leurs conclusions basées sur le pourcentage de syllabes bégayées sont claires :
« Le traitement direct amène à une diminution plus rapide du bégaiement durant les 3 premiers mois de traitement. Cependant à 18 mois après le début du traitement les résultats cliniques sont comparables. Cela implique qu’à 18 mois après le début du traitement, les deux traitements sont équivalents pour traiter le bégaiement développemental et ce de façon plus efficace que la récupération spontanée. »

Ces conclusions propres à équilibrer les plateaux de la balance permettent surtout de réintroduire du choix dans les thérapies possibles. Il apparaît donc essentiel de proposer aux enfants et à leurs familles un traitement « sur mesure », prenant en compte leur situation spécifique, en étant capables d’adapter ce traitement au cours du temps.
En 2015 Voon Pang publiait sur le site de la Stuttering Foundation un article sur ce sujet et concluait :
« To summarise, if we are to be effective in treating stuttering, we need to be a Swiss army knife and know when to use each tool/treatment approach as opposed to being a hammer and trying to force a ‘square peg into a round hole’ »
Autrement dit : « Pour résumer, si notre but est d’être efficaces dans le traitement du bégaiement, nous devons plus agir comme un couteau suisse en sachant à quel moment utiliser chaque lame (approche de traitement) que comme un marteau qui tenterait d’enfoncer de force un cube dans un trou rond »

Une fois la controverse exposée, on peut se dire « c’est bien joli tout ça mais il y a quoi dedans qui marche ? » Nous verrons donc dans le prochain article quels sont les ingrédients secrets d’une thérapie du bégaiement chez l’enfant de moins de 6 ans.

Et vous, vous seriez plutôt « direct » ou « indirect » ?