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transfert et maintien#3: changer durablement

Voici enfin le dernier article sur le transfert et le maintien dans les prises en soins du bégaiement et du bredouillement (les précédents ici et ici).

Nous voici rendu-es au bout des séances convenues avec le patient. Il-elle s’est emparé-e des outils de fluence, a avancé dans l’acceptation de ce qui est, a réussi à utiliser les « outils de parole » dans la plupart des situations de la vie courante, avec confort et souplesse. Désormais cela va beaucoup mieux, il-elle nous l’assure, d’ailleurs la gêne est désormais minimale, les moments les plus redoutés restent difficiles mais cela n’entame pas durablement la confiance que la personne a acquis.

Nous pouvons nous congratuler mutuellement de ce partenariat mené avec succès et il faut le dire pas mal de plaisir. Nous assurons de notre présence « si besoin » et faisons nos « au revoir » un peu émus sur le pas de la porte. Il-elle peut donc voler de ses propres ailes…

Mais voilà que patatras, quelques mois/années plus tard, le patient, la patiente nous reviennent « en boomerang », il-elle est catastrophé-e, plus rien ne marche, tout va mal, ce fichu bégaiement/bredouillement lui gâche à nouveau la vie. Retour des pensées auto-réalisatrices et de la culpabilité…de part et d’autre (les orthophonistes n’étant pas les dernier-es sur le vaste marché de la culpabilité).
Mais que diable s’est-il donc passé ?

Quelques hypothèses, à explorer ensemble et que je livre à votre réflexion :

  • Une réaction du système immunitaire à une attaque virale ou bactérienne a affaibli l’organisme et eu un retentissement sur le tonus global de la personne. Des quintes de toux prolongées sur plusieurs semaines ont tendu le diaphragme comme un arc et malmené les cordes vocales. Le système musculaire très sensible aux variations s’est remis en tension, les pensées automatiques associées au bégaiement ou au bredouillement n’étant parfois pas très loin, elles en ont profité pour revenir au galop. Avant de chercher midi à quatorze heures, cela vaut la peine de poser la question toute bête d’un problème de santé.
  • Le changement n’était que « de surface », lié au contexte très fort et très soutenant (par exemple un stage intensif). Retirez le contexte et les habitudes quotidiennes reviennent quelquefois au grand galop. Pas mal d’études de la littérature ont exploré le phénomène. Bon à savoir : pour les techniques de fluence, on estime à 200H de pratique et/ou au moins 40 à 50 jours pour modifier un comportement appris de longue date…(un exemple d’article ici sur le transfert et maintien chez l’enfant d’âge scolaire )
  • L’objectif atteint se basait sur une croyance, une sorte de leurre, un idéal qui ne correspondait pas réellement à la personne et à ses besoins. Les changements ont pu aussi être faits par adhésion à nos propositions, ces pistes venant de nous et pas du patient lui-même. C’était donc comme une cotte mal taillée, un habit trop petit ou trop grand que la personne ne trouvait finalement pas à son goût…Petit à petit le quotidien a érodé ce « faux self » et le bégaiement ou le bredouillement bien installés dans les habitudes motrices reviennent « par la fenêtre ».

Dans ces situations, « 100 fois sur le métier remettez votre ouvrage » mais avec une grosse composante de thérapie ACT (thérapie d’acceptation et d’engagement). Cela nécessitera peut-être de modifier votre approche vers une « approche intégrée ». Je pourrai détailler dans de prochains articles en quoi cela consiste mais retenons pour l’instant qu’en s’inspirant de la thérapie ACT il faudra travailler sur :
L’observation de ce qui est (actions/pensées et émotions).
– La recherche de ce qui est vraiment important pour la personne : parler fluidement certes, mais au service de quoi ?
– La prise en compte des cercles vicieux ou « moments hameçon » qui éloignent de l’important.
– L’apprentissage de la liberté de choisir un comportement ou une attitude en fonction de la situation et des valeurs.

Et puis tout de même…Il y a ceux et celles qu’on ne revoit pas (les « pasdenouvellesbonnesnouvelles »), ils-elles laissent à l’occasion un petit message sur le répondeur ou un mail: la vie comme elle va les transporte, parfois les chahute, le « trouble » alors refait surface mais « c’est correct », ils-elles réutilisent les stratégies, préviennent leur interlocuteur d’un mouvement de sourcil, d’une blague ou de quelques mots. Restent là dans ce moment de disfluence en toute tranquillité.

Et il y a ceux-celles qui montent un groupe de self-help, créent un blog sur le bégaiement ou le bredouillement, postent des vidéos sur les réseaux, organisent un concours d’éloquence, deviennent délégués de l’association Parole-Bégaiement, souhaitent devenir orthophonistes…mais c’est une autre histoire.

Et vous, que faites vous quand vos vieux démons resurgissent ?

Afin de poursuivre la réflexion, pour les anglophones, ici l’épisode 556 du podcast « stuttertalk » sur la fin de la thérapie