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eloge de la lenteur

Lors des séances avec les patients ayant des troubles de fluence de la parole, le temps est une question cruciale. Ca tombe bien, le thème du salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil est cette année « Eloge de la lenteur ». Dans l’émission « être et savoir » de Louise Tourret sur France Culture ce dimanche la discussion a porté sur la confrontation entre le temps des enfants et celui des adultes. En l’écoutant, je faisais un parallèle avec le travail en orthophonie sur les troubles de fluence, qui est aussi une confrontation de temporalités différentes.

Au-delà du classique « le bégaiement est une maladie du temps », me voilà quotidiennement à la recherche d’un équilibre fragile.
Le temps de la séance est souvent un habit bien étroit. En effet notre convention prévoit pour le soin des troubles de fluence des séances « d’une durée minimale de 30 minutes »…Comment faire quand le bégaiement entrave tellement la parole que la moindre phrase prend deux fois plus de temps ? Comment faire quand le bredouillement doit lâcher prise pour que les mots livrés en compression à la César se déplient et s’étirent ? Dans ce cadre temporel serré, il me faut parvenir à créer un « espace de respiration » qui nous permette de travailler.
Prise de conscience, identification des mécanismes de la parole, action pour modifier ces mécanismes, entraînement et transfert, je me trouve bien souvent trop pressée d’avancer (par crainte de m’ennuyer ? de lasser le patient ?). Avec l’expérience, j’apprends à faire silence et à observer, long chemin comme évoqué ici.
De son côté le patient est bien volontiers pressé de voir disparaître ces encombrants obstacles à sa parole fluide. L’entourage aussi qui se lasse de ne pas comprendre, s’inquiète de la parole empêchée. Il m’est alors demandé de faire vite fait bien fait les réglages nécessaires…Il nous faudra accorder nos violons si nous voulons faire route ensemble.
En tout cas, avec les parents des enfants qui bégaient ou bredouillent, le meilleur indice qu’on s’installe vraiment dans la séance est bien souvent…Le bâillement ! Je me souviens d’un papa cadre dans une grosse entreprise, qui arrivait en tenue de travail (cravate et costume). A peine assis à la petite table pour entamer jeux et compliments sur la parole fluide il était pris d’irrépressibles bâillements. Depuis, je préviens que mon bureau est « ZBA » (zone de bâillement autorisé) tant ce petit automatisme est pour moi le signe que la personne se pose et se rend présente à la situation. Jouer et complimenter sont choses sérieuses. S’y habituer et s’y consacrer peut prendre du temps mais tout est à gagner dans cet abandon de l’encombrement pour se rendre pleinement présent.
Il y a aussi le temps du nombre du séances : « vous pensez qu’il y en aura pour combien de temps ? »…Je sors alors ma boule de cristal et énonce ma belle réponse à la normande « ça dépend… » ou « le temps qu’il faudra pour dire tout ce que vous voulez, à qui vous voulez, bégaiement ou pas ».
J’ajoute ensuite que cette temporalité vague est assortie de balises : d’abord 10 séances d’essai (après 6 ans) ou le temps d’une grille de sévérité (= 6 mois en langage Lidcombe) pour les plus jeunes. Dans ce cadre, souplesse et ajustement en permanence, ainsi que discussions régulières (toutes les 10 séances ou tous les 3 mois) sur les progrès et les objectifs suivants. Avec l’expérience encore, j’apprends à poser ce cadre et j’y gagne en précision et en partenariat. En effet ces discussions régulières empêchent l’enlisement et rétablissent bien souvent une direction commune à nos logiques individuelles.
Puis vient le temps de la fin du suivi : on se quitte alors « à condition » de se revoir si nécessaire, si rechute, si panique, si examens oraux, si entretiens d’embauche, à la carte et à la demande…Et « pas de nouvelles bonnes nouvelles »

Et vous, comment faites vous pour prendre le temps…En 30 minutes ?