Formations pour orthophonistes
Un élément central de ce DU touffu est l’invitation à questionner ses pratiques. En effet, le but n’est pas tant d’acquérir de nouvelles connaissances que de questionner nos habitudes thérapeutiques. Pour cela, un modèle utilisé en pédagogie nous est proposé : le modèle de Korthagen.
Adeptes des modèles circulaires, cercles vicieux et vertueux, vous allez être servi-es !
Le principe de base est tout simple : prendre un papier, un crayon, et s’asseoir au moins 5 minutes pour écrire…De la main à la tête, ce petit temps de retour sur l’intuition du moment s’avère extrêmement riche.
Première étape : l’action
Ici une de mes marottes de formatrice s’applique à fond : décrire très concrètement la situation, mon action, et les résultats de cette action.
« Simon est arrivé très inquiet, il avait beaucoup de choses à raconter sur sa journée. Après avoir à peine pris le temps d’enlever son manteau il s’est lancé dans une description foisonnante et bégayante d’un épisode de moqueries. J’ai immédiatement proposé d’appeler son enseignant pour proposer que j’intervienne dans la classe à propos du bégaiement. Simon s’est énervé, visiblement mécontent de mon idée qui allait « tout empirer » selon lui. »
2e étape : la réflexivité
Un second niveau d’observation intervient alors, celui de ce qui s’est exactement passé : qu’est-ce que je voulais, à quoi je pensais, comment je me sentais ?
« A l’arrivée de Simon je me suis sentie noyée et un peu perdue, comme ce n’était pas le premier épisode de moqueries et que nous avions déjà travaillé les réponses possibles, je me suis sentie un peu démunie et j’ai perçu son découragement. Cela m’a rappelé l’état dans lequel il était en début de thérapie, y compris dans les manifestations physiques de lutte avec sa parole. »
3e étape : comprendre l’expérience
Ici le but est d’identifier des régularité (des « patterns » d’actions identiques), que signifiait cette expérience pour moi, d’où venait-elle, quels peuvent être les problèmes ou les éléments positifs ?
« Au début de la séance, j’ai senti que je voulais agir, proposer des solutions, aider Simon. Son indignation et son découragement m’ont donné envie de le consoler, de le réparer. Faisant cela je me mettais dans une position d’aide mais avec mes propres solutions. La réaction d’agacement très claire de Simon m’indiquait que je faisais fausse route. »
4e étape : développer des alternatives
Il s’agit ici, à la lumière des observations précédentes, de chercher plusieurs pistes de solutions alternatives, et de les décrire un minimum pour percevoir lesquelles se détachent du lot et semblent pertinentes pour cette situation.
« A la prochaine séance, je pourrai :
– Proposer de reparler de la situation de moqueries et reformuler ce que j’ai déjà compris, en me centrant sur l’écoute de son récit pour en avoir une image la plus précise possible.
– Me centrer sur les réactions de Simon (ex : ralentit son débit, précise sa pensée, etc.) les manifestations de ses émotions devraient me donner des indices de ce qui paraît le plus important pour lui.
– Reformuler beaucoup et proposer de chercher ce qui est le plus important pour Simon si cette situation se reproduit.
– Faire confiance à Simon (et le lui dire), car je pense que Simon est tout à fait capable de trouver lui-même des solutions, grâce à tout le parcours que nous avons eu ensemble.
– Proposer d’aborder ce sujet à la prochaine séance de groupe pour que les autres enfants lui parlent de leur vécu et de ce qui a marché pour eux en cas de moqueries. »
5e étape : l’action
Cette phase finale inclut l’essai des solutions envisagées, en gardant en tête les buts de ces actions, les points d’attention, ce qui serait à éviter.
« Lorsque je proposerai ces solutions à Simon je veillerai à identifier mes propres envies de solutionner son problème, à me retenir de parler et à proposer seulement deux ou trois solutions. […] Lors de la séance, Simon a choisi de reparler de la situation avec son meilleur copain pour lui demander de le soutenir si cela se reproduisait. Il a aussi souhaité en parler lors de la prochaine séance de groupe. »
Ce schéma étant circulaire, on peut continuer tout au long du processus. J’applique ce schéma à toutes les formations, en posant en amont mes intentions, puis en cours de formation lors des moments d’exercice des stagiaires, puis en fin de formation à la lecture des commentaires.
Pour les séances avec les patients, le fait de devoir transcrire 100h de séances est une sacrée contrainte mais je vois à quel point cela m’aide à approfondir mes intentions. En effet, je fonctionne très souvent à l’improvisation du moment, en suivant une sorte d’intuition née de plusieurs années de pratique. C’est un exercice parfois inconfortable de tenter de transcrire des intentions informulées (et de savoir que ce sera lu !) mais c’est passionnant et cela m’apprend réellement la « patience thérapeutique » !
Et vous, comment observez-vous votre travail ?