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covid et prises en soins des troubles de fluence

Assurer la continuité et la qualité des soins en orthophonie sur le bégaiement et le bredouillement en période Covid est un vrai défi. Voici quelques réflexions et propositions, avec un an de recul sur les perturbations et réorganisations imposées par « la situation actuelle ».
Travailler masqué-es ne nous facilite guère la tâche, il faut bien l’avouer, et notre métier de communication s’en trouve mis à rude épreuve.
Première question, fréquente : y a-t-il eu un effet du confinement pour les enfants qui bégaient ? Avec le recul, en clinique, je ne saurais dire si se détache une tendance claire. Une fois encore « le bégaiement » se montre multiple. Comme pour tout changement de vie, les parents d’enfants qui bégaient ont constaté des changements souvent importants dans la fluidité de parole de leur enfant. Pour l’instant je peux dire que j’ai eu peu de situations où le confinement avait déclenché l’apparition d’un bégaiement, j’ai en revanche vu beaucoup d’enfants qui ont bégayé davantage pendant le confinement et surtout à la reprise de l’école. Il faut dire que dans ma région, quelques écoles ont appliqué très strictement le protocole sanitaire et les scolarisations aléatoires ont fait plus de dégâts chez les enfants de moins de 6 ans que chez les plus grands.
Dans l’ensemble, j’observe que la durée de traitement du bégaiement des enfants de moins de 6 ans s’est allongée de quelque 3 mois par rapport aux durées moyennes habituelles.
Depuis la rentrée de septembre et le reconfinement partiel, j’observe des effets « par ricochet » de la fatigue et de la nervosité des adultes sur les enfants, ainsi qu’un effet négatif parfois important de l’usage des écrans sur la fluidité de parole (un patient adolescent décrit très bien le démarrage de son addiction désormais très importante lors du premier confinement).
Toutes ces observations cliniques méritent confirmation, promis dès que je vois passer une étude sur le sujet j’en fais un article !

Côté rééducation, comme de bien entendu ça a été l’ADAPTATION, je vous livre pêle-mêle quelques idées qui me sont venues chemin faisant :
Les visières peuvent être très utiles pour améliorer l’auto-écoute, elles offrent un bon retour auditif, avec un côté « kit mains libres » que n’avait pas le « toobaloo » et un côté « contact visuel » que n’a pas le pot de fleurs (un patient bredouilleur qui avait fait une intervention au colloque de l’APB en 2018 expliquait avoir travaillé l’auto-écoute en mettant sa tête dans un grand pot de fleurs vide).
– Je porte maintenant une attention toute particulière au travail sur le langage des sourcils. Cela tombe bien, je trouvais que beaucoup d’enfants qui bégaient ou bredouillent sont assez inexpressifs. Me voici donc très souvent en séance à jouer du sourcil et à pointer tel ou tel froncement parental à l’enfant. C’est l’occasion de renforcer les capacités dans le domaine cognitif et émotionnel (un article sur le programme « restart DCM » demandes-capacités ici)
– J’utilise plus souvent des jeux sur le contact visuel et sur la communication non verbale corporelle globale : mimes d’émotions, compréhension d’attitudes corporelles (j’ai une banque d’images très précieuse faite par des étudiantes en orthophonie de Lille pour leur mémoire : Charlotte Vilers en 2012 puis Sophie David et Justine De Ruyver en 2015)
– Avec les patients qui bredouillent j’utilise la lecture d’expressions, comme avec ce document, à utiliser largement ou à reprendre avec d’autres images
– Avec des enfants de primaire, on peut détourner les masques, en créer avec des bouches coordonnées aux différentes positions de sourcils ou à des bulles de dialogue (ex: « je suis très contrarié-e ! », « quel calme ! », merci pour ce beau cadeau », « mais qu’est-ce que c’est que ce truc ? », « beurk ! », etc.)
En groupe, toutes ces propositions peuvent être reprises. On peut aussi utiliser des supports de textes suscitant des postures corporelles à interpréter (ex : lire le texte en silence puis le « jouer » uniquement avec des postures). On peut aussi faire travailler les dialogues sous forme de jeux de rôle avec une consigne d’émotion à transcrire uniquement corporellement (« tu es triste/joyeux/en colère/stressé/tu t’ennuies/etc. »)

Pour terminer, un petit retour sur ma pratique des séances en visio :
J’ai proposé aux familles des suivis en visio mais ils ont tous demandé le maintien des séances en direct, y compris ceux qui habitent loin…Est-ce un effet de l’overdose de télétravail ? Les séances des enfants de moins de 6 ans et de primaire se font donc en direct. Quelques adolescents sont suivis de façon mixte, avec une prédominance des suivis en direct. Sur une séquence de 10 séances, je propose au moins 5 séances en direct, puis d’alterner direct et visio ou téléphone. Enfin pour les adultes, trois d’entre eux sont suivis à distance, à ce moment là j’alterne toujours 2 rdv à distance/1 rdv en direct. Pour les séances à distance, je propose plus volontiers une conversation téléphonique. En effet, je trouve que la visio apporte souvent plus de contraintes que de bénéfices. Le côté « mal de mer » des visio avec téléphone portable, non merci ! Il faut alors passer du temps pour poser ce nouveau cadre: avoir un appareil de captation correct, posé sur un pied ou bien installé, dans une pièce fermée sans parasitage d’une radio ou d’une télé allumées. Les séances au téléphone simple permettent aussi de travailler cet outil spécifiquement, ce qui rejoint une demande fréquente. Je les trouve globalement plus efficaces que les séances en visio.

Et vous, comment vous êtes-vous adapté-es à la situation ?

Pour vous accompagner je vous propose une musique qui donne du baume au cœur quand on se sent seul-e et/ou quand on aimerait (comme moi) plus de moments de solitude.
Un podcast sur un autre sujet que le bégaiement, parce qu’il n’y a pas que ça dans le référentiel AMO ! « Se faire entendre quand on est sourds », dans le podcast « Fracas » de Louie média.
DERNIERE MINUTE: A écouter le reportage du journal de 13/14 France Inter du 1er mars sur les effets du masque sur la communication et le développement du langage chez les enfants de moins de 3 ans…On ne va pas manquer de travail !