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transfert et maintien #2: trouver la motivation

Une fois les problèmes nommés lors du bilan, il s’agira pour le patient et l’orthophoniste de partir en quête des motivations profondes à changer.
Qu’est-ce qui peut pousser au changement ? La démarche de soins peut être mûrement réfléchie mais pour certaines personnes elle est le fruit d’une impulsion dont les racines peuvent ne pas être très claires.

Munissons-nous donc de notre boussole et partons en exploration : qu’est-ce qui pour cette personne là est le moteur fondamental ?
Tout d’abord cela peut être des motivations internes :
– Toucher le « fond de la piscine » : quand tout à coup l’accumulations de mauvaises expériences ou de pensées négatives amène à se dire « ça ne peut plus durer ». L’expression « désespoir créatif » utilisé en thérapie ACT me plaît assez pour décrire cet état de profond désarroi qui pousse cependant à l’action.
L’attrait d’un « monde meilleur » : quand la fatigue d’être soi est trop intense, l’envie de changement devient irrésistible. Il est alors parfois délicat de réajuster l’idée que la personne peut se faire de ce monde meilleur et le rêve qu’elle a de devenir une autre…Les « Johnny costard » sont à l’affût pour offrir du rêve et j’ai vu plusieurs patients qui avaient fait des stages « miraculeux » mais en étaient ressortis encore plus enfermés dans les cercles vicieux du contrôle absolu sur la parole. Nous sommes souvent leur « monde meilleur » et il faut alors bien s’entendre sur la réalité du travail proposé…eh non, point de baguette magique chez les orthophonistes !

Il peut aussi y avoir les motivations externes à changer :
L’entourage proche est une bonne source de motivation, avec le risque du manque d’adhésion de la personne elle-même. On peut observer des situations allant du « bienveillant-soutenant » au « coup de pied au cul » et l’orientation du travail n’en sera pas tout à fait la même…J’ai reçu un patient atteint d’un bredouillement très important qui était envoyé par sa compagne sous la menace d’une séparation s’il ne faisait pas de démarche pour devenir plus intelligible. Le bilan ayant consisté à contempler l’ampleur du désastre, j’ai proposé à ce patient de me rappeler après quelques jours de réflexion. Une fois qu’il avait passé la porte j’étais persuadée de ne pas le revoir de sitôt mais il a rappelé deux jours plus tard et le suivi a duré deux ans…Aux dernières nouvelles il est toujours avec sa conjointe !
Dans la même veine, de nombreux pré-adolescents et adolescents sont devant nous pas mal contraints et forcés, mais l’étape du bilan et des petits calculs de vitesse de parole ou les enregistrements permet généralement de rendre ces jeunes très acteurs de leur suivi.
Le monde professionnel ou les formations et diplômes sont aussi grands pourvoyeurs de motivations : l’entretien avec le N+1, la préparation d’un oral ou d’un entretien d’embauche, la perspective d’une promotion sont des moteurs puissants pour se mettre en route. C’est aussi une mine d’idées pour le travail, une source quasi inépuisable de mises en situation, mais c’est une autre histoire…

Je termine en faisant un petit détour :
Il peut être nécessaire d’explorer le « locus de contrôle » du patient. Il est défini ici comme « la tendance que les individus ont à considérer que les événements qui les affectent sont le résultat de leurs actions ou, au contraire, qu’ils sont le fait de facteurs externes sur lesquels ils n’ont que peu d’influence, par exemple la chance, le hasard, les autres, les institutions ou l’État ».
Cette notion présentée souvent de façon simpliste en quelques minutes de vidéos youtube, peut être explorée avec les personnes qui présentent un trouble de fluence. LE Bégaiement est souvent construit comme un élément externe incontrôlable et une partie du travail consistera à nuancer cette croyance, car le bégaiement est surtout « ce que je fais dans telle ou telle situation ». Il est nécessaire de préciser aussi qu’un locus de contrôle plus interne est lié à l’attention : la motivation à changer peut émerger d’une observation neutre de la situation pour constater ce qui ne va pas dans mon comportement/dans ma façon de m’ajuster à la situation. On rejoint ici un des fondements de la thérapie ACT. Par ailleurs, il faut souligner l’importance de la notion de « savoir-faire » pour la capacité à prendre en main sa situation pour pouvoir la modifier : le changement ne se fera pas sans travail, il faudra opposer aux comportements appris par les circonstances de la vie d’autres comportements  choisis, plus efficaces.
En dernier lieu, il faut garder en tête que cette notion de « locus de contrôle » interne ou externe est très variable selon la tâche à effectuer et selon le contexte. Chez une même personne, ce contrôle peut se déplacer en fonction des événements et on pourra explorer des tendances générales mais il s’agira toujours d’apprendre à observer et choisir en conscience.

Et vous, qu’est-ce qui vous pousse à changer ?


Une musique : « ça me gonfle » de David Sire, ou comment transformer le désespoir en créativité et trouver l’énergie de la révolution ( = « rotation complète d’un corps mobile autour de son axe »)